A PROPOS

RÂ.jpg

Après une carrière de chirurgien viscéral pendant 40 ans, MOREL-VALLERNAUD en 2012 s'est d'abord attaché aux corps et épaves d'anciennes machines, les transformant en sculptures métalliques et leur donnant ainsi un nouveau souffle.

Depuis 2015, il privilégie l'usage de tôles plates; il les découpe, les plie et les soude pour réaliser des sculptures abstraites dont les volumes interrogent le déséquilibre.

// 

Visceral surgeon during 40 years, MOREL-VALLERNAUD in 2012 explores the bodies of former tools and gives them, through large size sculptures, a new life.

Since 2015, he favors the use of flat iron sheets. He cuts, bends and welds them to create abstract sculptures, the volumes of which question imbalance.

 

 

MOREL-VALLERNAUD

par Patrick Bellier

LE 15 JUILLET 2013 A VINGT HEURES
VISITE A L’ARTISTE

Quand il prend en mai 2011 sa retraite de chirurgien, Jean-Jacques Morel n’a qu’un regret : ne pas laisser de trace durable. La parade sera radicale, qu’il a longtemps méditée. En décembre il est équipé de son matériel, et la pièce numéro zéro est achevée en janvier 2012.

Nom d’artiste, « Morel-Vallernaud », qui soude au nom du père par qui tout commence, celui d’une mère très sensible au beau et très aimée. Ça a un côté Fantin-Latour, cercle rapproché de Manet, ça me plaît bien. André Morel est un lettré, le Grand Genre est le sien, celui du Grand Siècle et d’abord littéraire. Il en a la manière, la brillante simplicité. Quel territoire laisse-t-il en art à Jean-Jacques ? Eh bien tout le reste, et le plus éloigné possible du classicisme. Le Baroque d’abord, ce contrepoint du Classique, l’Art Moderne et Contemporain ensuite : poésie d’un côté, arts du silence de l’autre, qui se rejoignent dans le « livre d’artiste » dont il sera un collectionneur éclairé. Enfin notre futur artiste est de son temps et ce qui passionne ses pairs férus de sculpture, à la fin des années soixante où il est externe des hôpitaux de Lyon (je songe au Lutrin, place Gailleton), c’est ce que Cubistes puis Surréalistes avaient appelé Art Nègre, devenu pour nous Arts Primitifs et qu’il est convenu depuis le musée du quai Branly d’inclure dans les Arts Premiers.
Il est Interne des Hôpitaux et va se former avant 1980 dans la capitale belge à telle technique chirurgicale. Le patron bruxellois a un assistant qui l’introduit auprès de l’un des plus grands collectionneurs au monde d’Art Nègre (au pays de Tintin au Congo le terme est, alors, toujours admis).
Il passe là une soirée homérique dont il ressort avec une indigestion de saumon, mais pas d’Art Primitif : ils correspondront, il achètera – tout bon amateur vous le dira, c’est le chéquier à la main qu’on devient un connaisseur. Il a la quarantaine, avec Marie-Diane son épouse ils sculptent leur maison, qu’ils nichent dans le parc de la Parisière (jeune, son cœur balançait entre architecture et chirurgie). Certes on reconnaît la patte de Jean-Claude Demire, mais l’âme de la maison ce sont eux qui la lui donnent.
Dans ce plain-pied où jouent les emboîtements, les décrochements et les ouvertures – tout cela ayant, sous une allure à la Frank Lloyd Wright, du japonais dans l’harmonie comme dans les ruptures : l’habitat traditionnel nippon fut en art leur première émotion commune – dans cet ensemble glissent deux types de mobiles, les livres, les sculptures.
Si les premiers disent de Jean-Jacques l’intériorité, les secondes sont dedans-dehors, tant matériellement que mentalement.
Au matériel, si les petites sculptures sont réparties dans la maison - Marie-Diane est fière des consoles basses et longues conçues par lui pour les distribuer, fluides, le long des couloirs de circulation – les créations plus imposantes vivent dans le jardin, terme d’ailleurs inadéquat sauf à le penser zen, distribuant circulation et recoins sans rupture avec l’intérieur du lieu, les socles de métal des sculptures (ou les tables ou stèles en tenant lieu) jouant là leur partie.
Au mental bien sûr, le livre c’est l’imbibition par l’art, arpentage tant géographique qu’historique ; la sculpture, elle, c’est au fond le pendant dans notre société post-industrielle de ce que l’Art Nègre énonce de l’univers de l’Artiste Premier. Là où ce dernier dit la nature omniprésente peuplée de mille dieux qu’il faut amadouer, célébrer, tromper peut-être, l’occidental né « après guerre » dit ce qui nous entoure ou plutôt, jeunes, nous entoura, cette industrie naguère omniprésente et qui,  périmée, caduque, s’amasse  abandonnée.
Là où le primitif, vivant dans un monde immuable et une nature à la fois écrasante et toute emplie des dieux saisissait le tronc ou la pierre et les faisait silhouette, masque, arme ou trophée, voilà notre Jean-Jacques composant avec la tôle, la roue, la tige, l’engrenage.
D’abord il a accolé, plus tard il a plié, angulé, construit. C’est qu’il est passé chez le forgeron alchimiste de Saint-Michel, Jean-Paul Bonnet soi-même, Vulcain à la voix aussi cassée que son verbe est rare. Cette étape qui vaut initiation, il l’a réifiée dans son coin d’atelier, un concentré de passion.
D’étranges objets naissent de tout cela qui sont par leur assemblage comme jouets anciens désamarrés de toute valeur d‘usage. Le métal en est, dans sa matité, quasi duveteux sous la caresse de l’œil.
A les contempler un souvenir a jailli tout droit de la nuit de ma mémoire ; un Jean-Jacques de douze ans, gentil, joue avec mes avions Dinky Toys (ou Solido ?). Métal gris, lisse, appelant le rêve et la caresse, un Constellation qu’attaque un Supersabre. L’art, c’est l’enfance retrouvée, mais visitée par toute une richesse de savoir accumulé, puis de passion faite objet.
Rien dit des œuvres ? Voire…

Patrick Bellier

 

 

 

All images copyright MOREL-VALLERNAUD.